Ma spécialité c'est la biopotamologie, la vie, de tout genre, dans et auprès des fleuves, et grâce à elle, j'ai partout voyagé dans le monde et fait certaines découvertes zoologiques (quelques-unes avec de l'appui de quelques fondations, comme le WWF, lequel fut définitivement impliqué dans la découverte de l'intéressantissime arctopotame).
Je voudrais d'abord mentionner pourquoi je m'intéressa tant dans la vie des animaux de fleuve. Mon enfance, comme celle de beaucoup de teeneks (ou huastèques si vous préférez), je la vécus près d'un fleuve, le Pánuco, lequel m'a toujours fasciné par son débit si vigoureux et ses extraordinaires animaux. C'est là que je vis mon premier cryptide, le laab pay'loom te', ou l'élaphopotame comme je l'appelle présentement.
La cryptozoologie est –comme les teeneks– pauvre, sans intérêt, indulgente et docile; dédaignée pour considérer les animaux du folclore avec possibilité d'existence, pour son manque habituel de méthode scientifique, pour sa parenté au mythe. Nous, les teeneks, sommes différents des ejeks (les métis, les espagnols, les occidentaux), qui sont exigents, intéressants, riches. Les baatsik' sont les premiers habitants du monde, les êtres du monde souterrain; les teeneks –agriculteurs–, leurs descendants, comme Caïn le premier descendant venu à la Terre; les ejeks –éleveurs– arrivèrent à notre monde. Tout comme dès le début: Caïn face à Abel, les baatsik' face aux teeneks, les teeneks face aux ejeks, les agriculteurs face aux éleveurs, les cryptozoologistes face aux zoologistes.
Le premier biopotame dont je parlerai sera certes l'élaphopotame, ou le cerf des fleuves, en teenek, laab pay'loom te', l'arbre parrain. Nous autres, les teeneks, attribuons à cet animal le rôle de prendre soin de l'enfant à la suite de sa naissance; la vie de l'enfant dépend de la robustesse de son arbre parrain.
L'élaphopotame n'appartient pas à la famille Cervidae, puisqu'il est omnivore: il se nourrit de pintontles mourants, escargots, poisson-chats malades et plantes riveraines; rarement sort de l'eau, et se nourrit durant la nuit: il est le protecteur du sauvage, l'animal de compagnie des baatsik'. L'élaphopotame a l'habitude de se donner des baignades et roulades dans la boue de zones peu profondes, ou dans les marais: il est sale comme les teeneks. Ses bois sont enchevêtrés, désordonnés, duveteux, et d'une envergure de jusqu'à deux mètres. Il a une hauteur de deux mètres et demi à la tête, et deux mètres dix au garrot. Il pèse entre 550 et 730 kg. Son pelage est rêche, brun-rougeâtre; il possède une crinière de poils durs et hirsutes plus foncés que le reste du pelage, et qui peut même atteindre une couleur noire. Le laab pay'loom te' est des premiers, les baatsik', les craignants du soleil, nous autres les kwitol, les enfants, les sans-raison.
Dans le sud du Vietnam, à quelques heures de Can Tho, tout au long du fleuve Mékong, s'étend un vaste territoire trés peu exploré à cause de son accès difficile. À ce cours d'eau habite le Cuu Long, ou l'arctopotame comme je l'appelle. L'arctopotame, ou ours de fleuve, est un mammifère herbivore de coleur rouille, à longue queue rayée: il est probablement apparenté au panda roux, c'est-à-dire, il appartient probablement à la famille des ailuridés (Ailuridae); il comporte cependant deux grandes différences avec le panda fuligineux: (1) sa taille: il peut atteindre une longueur de deux mètres et demi, et (2) ses pattes, qui sont plus élancées et développées, possiblement adaptées aux nages très prolongées dans un très bourbeux Mékong, en vietnamien, Cuu Long Giang, le fleuve des neuf dragons (des êtres paradoxalement baatsik', et de lumière et feu).
Le coracopotame, ou corbeau de fleuve, se trouve dans la Toungouska pierreuse, en Russie. Dû à l'absence de rapports de l'existence dudit oiseau jusqu'à l'évènement de la Toungouska, explosion thermonucléaire aérienne probablement due à une météorite, c'est possible que le coracopotame en soit le résultat par la mutation de certains corvidés de la région, peut-être du Corvus corax. Son plumage est tout noir, aux reflets pourpres, verts et bleus; son bec et ses pattes sont noirs aussi. Il se nourrit de petits poissons dans la rivière et de charognes sur terre. Il peut mesurer, debout (puisque sur terre il marche comme les pingouins), jusqu'à 110 cm. Les coracopotames sont très agressifs et se regroupent en pelotons d'au plus dix membres. Ils s'agressent ocasionellement les uns les autres jusqu'à atteindre le cannibalisme.
Pour terminer, je parlerai de mes trois dernières et plus fascinantes découvertes dans le Kwando, à la frontière de la Zambie, l'Angola et la Namibie: les tératopotames, ou monstres de fleuve: l'égopotame, le sypotame, et l'outopotame (ou l'allopotame, ou anthropopotame). Depuis des générations, les aperçus de ces créatures ont fait partie de la culture yaouma, kwahane et lozi. Ils les appélent lifatal, kakoundoukoundou et poula, respectivement. Ces noms ne présentent pas de variations d'une langue à l'autre.
Je me trouvais déjà près de la frontière tripartite lorsque le Kwando commença à devenir fangeux, à se transformer en un labyrinthe de petits marécages; celui-ci fut très vite bondé d'arbres gigantesques, noirs et couverts de lianes, en sorte que peu de lumière atteignait le cours de la rivière. Ma chaloupe voguait lentement, et s'arrêta à plusieurs reprises. La dernière fois j'essaya de la faire avancer, mais il me fallut en débarquer: ma rame s'accrocha dans la bourbe du fond, gobante à son intérieur et glissante sur sa surface. Soudain, je fus absorbé vers le bas: tout était trouble, et je commença à marcher à quatre pattes sur le fond, lorsque je me trouva, subitement, face à face avec un être gris, aux yeux ronds, noirs, abyssaux, désolants et glaciaux; en eux je vis les temps précédents à tout homme, où il n'y avait pas encore le Soleil. Je regarda vers le haut: je pus voir à peine son tronc mince, dont le bout supérieur paraissait se diviser en trois: c'étaient ses jambes. Je voulus m'en aller, mais un murmure-remous me retint, et en réflexe, je dirigea mon regard vers le visage inopinément sans bouche de cet être gris; je m'éperdis dans son regard et le murmure commença de se rendre net: il me parlait dès l'intuition, la première pensée, depuis le sauvage, le non-verbal, l'obscurité-vacuité. Je le confondis avec moi, tournâmes l'un autour de l'autre, fûmes fondament l'un de l'autre, configurâmes un dialogue primordiale: Moi et Toi confondus, cofondés. Émergea la Lumière, l'Autrui, Lui, avec son corps d'homme. Moi et Toi craignâmes-craignèrent. Moi et Toi demandâmes-demandèrent qui était Lui. Moi-Toi devint colimaçon. Lui était toujours là, tant plein de lumière, aveuglant. Je-tu sus enfin qui c'était: Teenek.
Tout devint alors superlumineux, l'eau devint claire et se bourra d'une écume de grosses bulles. L'air me manquait et je sortis subito de l'eau, comme poussé du bas. Je fis une parabole de demi-mètre jusqu'au bord de la grosse gorge des Chutes Victoria: je juchais sur mon ventre, sur le bord de la Piscine du Diable, une piscine naturelle à 103 mètres de hauteur, en bordure de la falaise de la cataracte, du côté zambien du fleuve Zambèze, où se jette le Kwando. Je haletais en regardant l'abîme couvert d'une rosée et d'un fracas constants, pensant à cette rencontre avec le baatsik' et les autres créatures. Je n'arrivais pas à penser avec clarté à cause de l'abattement, donc je reposa un peu puis sortis du fleuve. Juste sur la rive, je rencontra un homme de l'ethnie lozi qui crut que j'étais un touriste égaré, mais je lui expliqua que j'étais un cryptozoologiste et qu'étais sur la piste du kakoundoukoundou, du lifatal y du poula. Ensuite je lui parla de mon expérience; il affirma à la fin de mon récit: « L'animal-conscience appelle la parole, l'homme naît de l'animal-conscience ». Nous filâmes vers une petite hôtellerie proche de là, le Zambezi Sun, où je resta trois jours, en gambergeant à mes conclusions.
Zoologie. Les rapports et la découverte des tératopotames situent ceux-ci sous terre, le long de 128 km du fleuve Kwando à la frontière partagée par Angola, Zambie et Namibie, très probablement tout le long d'une chaîne de cénotes en grotte d'au moins 230 km, qui est la distance entre la zone frontalière du Kwando et les Chutes Victoria: aucun yaouma, kwahane ou lozi mentionne d'avoir aperçu de telles créatures sur l'aire entre ce fleuve et les chutes. Le sypotame, ou toi fluvial (en lozi, kakoundoukoundou, remous), lorsqu'il reste immobile, flotte la tête en bas, et nage en se propulsant avec ses trois jambes, ce qu'il fait avec plus de rapidité grâce à la forme fusiforme de sa tête, très semblable à celle des requins. Dû à l'absence de bouche, on ne peut distinguer un visage que par l’existence de deux yeux noirs, globuleux et sans paupières. Il a la peau gris et, au toucher, est comme du papier sablé. Les caractéristiques précédentes font penser à un lien de parenté avec les squales, ce qui pourrait suggérer l'existence d'ampoules de Lorenzini mutées, des organes sensitifs aux champs électromagnétiques mais capables de modifier la conscience des proies. L'outopotame, ou lui fluvial (en lozi, poula, foudre), est bioluminiscent et anthropomorphe. Puisqu'on l'a toujours aperçu en présence du sypotame, celui-ci et l'outopotame coexistent en une sorte de symbiose. L'égopotame, ou moi fluvial (en lozi, lifatal, jumeau), est une manifestation intermittente tout le long du contact avec le sypotame. Selon des études du psychologue physiologique Michael Persinger, si on stimule le lobe temporal droit d'un individu au moyen de champs magnétiques faibles et complexes, cet individu expérimente une présence proche mais vague. C'est possible que l'intermittence génère cette sensation de dialogue non-verbal et cette subite aperception de soi.
L'objectivité. Les baatsik' demeurent dans l'obscurité de la conscience sans parole, là où les rayons et étincelles du champ cultivé n'arrivent jamais. Les baatsik' sont la conscience sauvage, la colectivité sylvestre: ils se regardent, se touchent, s'écoutent, se flairent en animaux: le dialogue pousse de se percevoir l'un l'autre. Un regard se montre à la conscience d'autrui, sans verbe; il n'y a qu'une danse où les corps reconnaissent une émotion, un langage intérieur. Les teeneks ont les baatsik' pour origine; chez l'homme vit l'obscurité, chez lui il y a la semence du dialogue: le soi et son jumeau. L'esprit et le monde s'éclairent de la parole.
Note. J'ai participé à un des concours de XYZ avec cette nouvelle... Je n'ai pas pas gagné.